Quand j'étais petit, l'autisme était considéré comme un trouble émotionnel. J'ai passé presque toute mon enfance dans l'une ou l'autre espèce de thérapie avec des thérapeutes démarrant avec le présupposé que je savais ce que les mots voulaient dire, mais que je ne savais pas comment contrôler mon propre fonctionnement. Leurs interventions consistaient essentiellement à m'inciter à dire des choses que je ne ressentais pas, et à me dire (et dire à mes parents) que je me comportais de manière étrange à cause des divers conflits émotionnels bizarres que les thérapeutes souhaitaient vivement dévoiler. (...)
Et parmi toutes ces préoccupations condescendantes au sujet des sentiments et des problèmes émotionnels, personne ne s'est jamais donné la peine de m'expliquer ce que les mots signifiaient ! Personne ne me disait jamais qu'ils s'attendaient à voir les sentiments sur mon visage ou que ça les perturbait lorsque j'utilisais des mots sans montrer les expressions correspondantes. Personne ne m'expliquait quels étaient les signaux ou comment les utiliser. Ils pensaient simplement que s'ils ne pouvaient pas voir mes sentiments, je ne pouvais pas les ressentir. Je pense que ceci témoigne d'un sérieux manque de perspective !
J'ai finalement appris à parler des sentiments lorsque j'avais vingt-cinq ans. (...)
Une fois que j'ai réalisé que les mots pouvaient être utilisés pour décrire des expériences subjectives, j'ai démarré de la même manière que je l'avais fait à douze ans avec les mots-idées. (...)
Ma capacité à prendre des décisions raisonnables, basées sur mes propres priorités mûrement réfléchies, est mise en doute parce que je ne prends pas les mêmes décisions que celles que prendraient d'autres personnes dont les priorités sont différentes. Je suis accusé d'être délibérément obtus parce que des gens qui comprennent des choses que je ne comprends pas ne peuvent pas comprendre comment il est possible que quelqu'un ne les comprenne pas. (cette phrase est parfaitement sensée. Si vous éprouvez quelques difficultés à la décoder, vous pouvez avoir un léger aperçu de ce que cela représente d'avoir un problème de décodage du langage.) Mes difficultés les plus graves sont minimisées, et mes points forts les plus marquants sont infirmés. (...)
J'ai appris à lire par moi-même à trois ans, et j'ai dû réapprendre à dix, et de nouveau à dix-sept, et à vingt et un, et à vingt-six ans. Les mots que j'ai mis douze ans à trouver ont été perdus, et retrouvés, et perdus, et ne reviennent pas tous au point que je puisse être raisonnablement confiant de les trouver lorsque j'en ai besoin. Ce n'était pas suffisant d'arriver à comprendre une seule fois comment me servir de mes yeux, et de mes oreilles, et de mes mains et de mes pieds tous ensemble; j'ai perdu trace de cela et je dois le retrouver encore et encore. (...)
Ce témoignage a été traduit de l'ouvrage suivant par Monique Deprez: E. Schopler, G.B Mesibov, High-Functioning individuals with Autism, New York, Plenum Press, 1992.