Etre autiste ne signifie pas être incapable d'apprendre. Mais cela signifie qu'il existe des différences dans la manière d'apprendre. L'équipement neurologique (input-output) peut fonctionner de manière non conforme. Les connexions entre les différents modes sensoriels ou les différentes informations enregistrées peuvent être particulières; le traitement peut être plus étroit ou plus large que ce qui est considéré comme normal. Mais ce qui me semble plus fondamental et plus fréquemment oublié, c'est que l'autisme implique des différences dans ce qui est connu sans apprentissage.
Des compétences simples, fondamentales, telles que reconnaître les gens et les choses présupposent des compétences plus simples, plus fondamentales encore comme savoir comment attribuer une signification à des stimuli visuels. Comprendre le langage requiert de savoir comment traiter les sons - ce qui implique d'abord de reconnaître les sons comme des éléments pouvant être traités et reconnaître le traitement comme une manière d'extraire l'ordre du chaos. Produire un langage (ou produire n'importe quelle autre sorte de comportement moteur) requiert de garder la trace de toutes les parties du corps impliquées et de coordonner tous leurs mouvements. La production de n'importe quel comportement en réponse à n'importe quelle perception requiert d'enregistrer et de coordonner tout l'input et l'output à la fois, et de le faire suffisamment vite pour suivre les changements d'input qui peuvent entraîner des changements de l'output. Devez-vous vous souvenir de "brancher" vos yeux pour donner une signification à ce que vous voyez ? Devez-vous trouver vos jambes avant de pouvoir marcher ? Des enfants autistes peuvent naître sans savoir comment manger. Est-ce que ce sont des compétences qui normalement doivent s'acquérir par un apprentissage ?
Ce sont les fossés que j'ai remarqués le plus souvent: ceux entre ce que l'on s'attend à devoir être appris et ce qui est supposé être déjà compris. Même lorsque je peux montrer du doigt ce fossé et demander de l'information à ce sujet, mes questions sont habituellement ignorées, prises pour des plaisanteries ou écoutées avec incrédulité, suspicion ou hostilité. Je suis pénalisé pour mon intelligence - les gens s'impatientent lorsque je ne comprends pas des choses dont ils pensent que je suis "assez malin" pour savoir ou pour imaginer par moi-même de quoi il s'agit. (...)
Le présupposé selon lequel je sais des choses qu'en fait je ne comprends pas mène souvent directement à la conclusion que je ne peux pas apprendre des choses qu'en fait je connais déjà. De telles hypothèses m'ont presque conduit à être placé dans une institution. Parce que je n'ai pas utilisé le langage pour communiquer avant l'âge de douze ans, on était presque sceptique quant à mes possibilités à apprendre à fonctionner de manière indépendante. Personne ne devinait combien je comprenais, puisque je ne pouvais pas dire ce que je savais. Et personne ne devinait la chose essentielle que je ne savais pas, la connexion manquante dont dépendaient tellement d'autres: je ne communiquais pas en parlant, non parce que j'étais incapable d'apprendre à utiliser le langage, mais parce que je ne savais pas à quoi servait le langage. Apprendre comment parler découle du fait de savoir pourquoi parler - et jusqu'à ce que j'aie appris que les mots ont une signification, il n'y avait pas de raison de me compliquer la vie à apprendre à les prononcer en tant que sons. (...). Je n'avais pas la moindre idée que cela aurait pu être une manière d'échanger des choses sensées avec d'autres personnes. (...)
A la même époque, j'avais une amie (...), une amie qui, sans connaissance préalable en psychologie ou en éducation spéciale, est arrivée à se fixer quelques lignes directrices pour pouvoir établir un lien avec moi. Elle m'a expliqué quelles étaient ces lignes directrices: ne jamais supposer, sans me le demander, ce que je pense, ressens, comprends de quoi que ce soit, simplement parce qu'elle aurait de telles pensées, sentiments ou manières de comprendre en rapport avec ma situation ou mon comportement; et ne jamais supposer, sans me le demander, que je ne pense pas, ne ressens pas ou ne comprends pas quoi que ce soit, simplement parce que je ne me comporte pas de la manière dont elle se comporterait si elle pensait, ressentait ou comprenait de telles choses. En d'autres mots, elle a appris à demander plutôt que d'essayer de deviner. (...)
Ce témoignage a été traduit de l'ouvrage suivant par Monique Deprez: E. Schopler, G.B Mesibov, High-Functioning individuals with Autism, New York, Plenum Press, 1992.